Interview

Dépistage de la fibrillation atriale en officine : l’exemple girondin

Pendant deux ans, entre 2018 et 2020, un programme inédit en France a été mené depuis sous l’égide du Chu de Bordeaux. Des dizaines de pharmacies girondines ont été dotées d’un dispositif médical permettant dépister la fibrillation atriale, responsable d’un risque accru d’AVC. Si la crise sanitaire a perturbé l’opération, les premiers bilans sont encourageants et une extension du dispositif est en discussion. Et les professionnels de santé ont complètement adhéré au principe.

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  • 13 Déc 2021
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    Marie Massaloux, propriétaire de la pharmacie des Abatilles, à Arcachon, a encore “son bâton” à portée de main. Ce dispositif médical, “très simple d’utilisation”, lui permet de réaliser un “mini-ECG” dans son officine. Un acte qu’elle réalise bénévolement dans la cadre du programme Protect-AVC Médoc menée par le Chu de Bordeaux et financé par l’Agence régional de santé Nouvelle-Aquitaine entre 2018 et 2020. Si de nombreux médecins se sont déjà engagés en France pour mieux dépister la fibrillation atriale, ou auriculaire (FA), ce programme est le premier, en France, à faire appel aux pharmaciens et pharmaciennes pour lutter contre ce problème majeur de santé publique. 

    Une patientèle ciblée

    Les neurologues Stéphane Olindo et François Rouanet, tous deux rattachés à l’unité neurovasculaire du Centre hospitalier universitaire (CHU) Pellegrin de Bordeaux, sont à l’origine du projet. Le premier nous explique les raisons qui l’ont penché à initié ce programme : “Le leitmotiv, c’est qu’on voit toute la journée des AVC en lien avec une fibrillation auriculaire qui sont, dans la moitié des cas, pas connue du patient. C’est une maladie silencieuse. Alors, on s’est dirigés sur de la prévention primaire avec l’officine comme lieu privilégié. Sur la base des recommandations des sociétés de cardiologie, on s’est concentrés sur les personnes de plus de 65 ans où la courbe de prévalence de la FA décolle à partir de cet âge.” Pessac, Arcachon, presqu’île du Médoc… Protect-AVC Médoc a été mené sur plusieurs territoire de la région Nouvelle-Aquitaine et a certainement permis d’éviter plusieurs AVC, mais comment s’est-il déroulé concrètement en officine ? Et pour quels résultats ?

    “Un dépistage, pas un diagnostic”

    Protect-AVC Médoc a été possible grâce à un nouvel outil mis au point par une société néerlandaise sous le nom de MyDiagnostick. Il se présente sous la forme d’un cylindre métallique d’une trentaine de centimètres, et il suffit pour le patient de le tenir par ses extrémités pendant moins d’une minute pour obtenir le résultat. Si la lumière est verte, il n’y a pas de problème, mais, si elle est rouge, il peut y en avoir un. Dans ce cas, l’ECG est édité et transmis au médecin traitant pour être analysé. “Cet appareil est un mini-électrocardiogramme qui a été testé et évalué, précise Stéphane Olindo. Il n’a bien sûr pas la qualité d’un électrocardiogramme habituel car il n’a qu’une dérivation alors qu’un ECG normal en a douze. Donc on s’expose plus à des artefacts, des parasites… Mais nous sommes sur un dépistage, pas sur un diagnostic.”

    Une démarche rapide et simple

    Tous les résultats qui nécessitent l’intervention du médecin sont instantanément transmis grâce à un logiciel. Le patient est ainsi informé en quelques minutes de la marche à suivre.

    Cette rapidité, alliée à la simplicité de l’examen gratuit et anonyme, qui ne nécessite ni local aménagé; ni déshabillage du patient, est un autre atout de ce procédé pour lutter contre “un vrai problème de santé publique”. D’autant que, mis à part répondre à un court questionnaire et éventuellement un courrier type pour le médecin traitant, les formalités administratives sont réduites au strict minimum.

    L’officine, idoine jusqu’à 85 ans

    Alors, quels sont les résultats globaux de ce programme : “Pour les plus de 65 ans, sur les 4208 personnes dépistées, 4,5 % ont eu une alerte. Sur ces 4,5 %, un tiers avait déjà une FA connue, un autre tiers n’avait finalement pas de FA, et pour le dernier tiers, une FA inconnues jusqu’alors a bien été détectée. Ce sont les chiffres qu’on trouvait dans la littérature scientifique.” Au-délà de ces données qui confirment l’importance du dépistage de cette pathologie, quelles conclusions tirées sur l’intérêt de l’opération en officine ?  “17% des plus de 65 ans, c’est à dire une personne sur 6, se sont rendus en pharmacie pour ce dépistage. Dans la tranche d’âge 70-74, c’est une personne sur 4, répond le docteur Olindo. Cependant, chez les très âgés, les plus de 85 ans, la proportion est beaucoup plus faible, ce qui est normal comme il ne se déplace pas à la pharmacie. Ce qui signifie également que cette solution n’est pas la panacée.”

    Renforcement des missions

    Un bilan globalement positif donc. Si des discussions sont en cours pour une extension du programme à toute la région Nouvelle-Aquitaine, deux obstacles majeurs se dressent : “D’une part, il faut continuer d’analyser le bénéficie d’une anti-coagulation suite au dépistage. D’autre part, il y a une problématique économique : là on était sur la bonne volonté des pharmaciens mais c’est un acte qu’il faudra rémunérer en cas de généralisation. De plus, il y a des artefacts qui vont générer des consultations inutiles… Tout ça doit être discuté davantage.”

    En attendant, les pharmaciens et pharmaciennes engagées dans le dispositif ont apprécié voir leur mission de professionnel de santé de proximité renforcée. À l’image de Marie Massaloux qui voyait déjà l’acte se coupler avec la vaccination contre la grippe et à une mesure de la tension. Un enthousiasme qu’a également observé le docteur Olindo : “Une majorité de pharmaciens ont envie de sortir de leur pratique traditionnelle et sont pour une évolution.”

    Seulement, la crise sanitaire est passée par là : “Je ne vous cache pas que ça nous a un peu fauchés dans notre élan, regrette le docteur Olindo. Avec cet outil qui se passe de main en main et les nouvelles missions des pharmaciens liées au Covid qui les occupent énormément, c’est plus compliqué.” Difficultés confirmées par la docteur Massaloux : “Je ne fais plus beaucoup de dépistages depuis un an, les patients ont la tête au civid. Mais, avec “les jours meilleurs”, j’espère que ça reprendra !”

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